Stigmates invisibles

    De Wiki Maria Valtorta
    Stigmatisation de St François d'Assise par Giotto, détails.
    Les stigmates trouvent leur origine dans la Passion du Christ qui en transfère les marques symboliques en signe d’union : marques des clous dans les mains et dans les pieds, couronne d’épines, cœur transpercé auxquels s’ajoutent parfois des larmes de sang. Ce sont donc les signes et le prolongement de la Passion du Christ dans la vie des chrétiens. Le mot stigmates signifie « marques » selon la phrase de saint Paul :
    "Je porte dans mon corps les stigmates (stigmata) des souffrances de Jésus (Galates 6, 17).

    Le don des stigmates

    On suppose donc que St Paul reçut ces stigmates, probablement invisibles car on ne connait pas de témoignage visuel en dehors de son aveu. La première personne connue par la Tradition pour avoir porté les stigmates visibles de la Passion, fut saint François d’Assise au XIIIe siècle. En 1224, deux ans avant sa mort, il priait lors de la fête de la Croix glorieuse, le 14 septembre. Il voulait, avant qu’il ne meure, éprouver dans son âme et dans son corps "les souffrances que Toi, disait-il au Christ, Tu as dû subir dans ta cruelle Passion, et ressentir cet amour démesuré qui t'a conduit, Toi, le Fils de Dieu, à souffrir tant de peines pour nous, misérables pécheurs !". Il lie bien amour et souffrance, les deux facettes du mot "Passion".

    Il reçut alors, d’une vision, cinq rayons de lumière qui frappèrent son côté, ses deux mains et ses deux pieds, en même temps qu’il éprouvait une joie mêlée de douleur. Ces stigmates demeurèrent. Le pape Sixte V (1585-1590), un franciscain, fixa la fête des stigmates de saint François au 17 septembre et le pape Paul V (1605-1621) étendit cette fête à l’Église universelle. Dans sa vision du 16 septembre 1944, Maria Valtorta assista de façon détaillée à cet instant, dans l'endroit qu'elle décrit parfaitement sans jamais y être allé[1]. C'est aujourd'hui le sanctuaire franciscain de La Verna.

    À la suite de saint François d’Assise, on connaît un flot ininterrompu de stigmatisés.  Au début du XXe siècle on recensait officiellement 321 stigmatisés dont sept fois plus de femmes que d'hommes[2], principalement religieux ou religieuses, mais pas uniquement. Parmi les plus célèbres : Thérèse d’Avila (1515-1582), Mme Acarie (1566-1618), Véronique Giuliani (1660-1727), Anne-Catherine Emmerich (1774- 1824), Mariam Baouardy (1845-1878) et à notre époque : Berthe Petit (1870-1943), Gemma Galgani (1878-1903), Padre Pio (1887-1968), Thérèse Neumann (1898-1962), Yvonne-Aimée de Malestroit (1901-1951), Marthe Robin (1902-1981), Alexandrina de Balazar (1904-1955), Maria Teresa Carloni (1919-1983), Natuzza Evolo (1924-2009), Myrna de Souhanieh en Syrie.

    La transverbération

    Maria Valtorta dans sa vision de St François d'Assise, décrit le séraphin, ange aux six ailes, qui dévoile progressivement le Christ en Croix d'où sortent les rayons lumineux qui, comme des flèches, percent les membres du Poverello.

    Cette "transverbération" est décrite par Ste Thérèse d'Avila, docteur de l'Église, au chapitre 29 de son Livre de la Vie (un livre qui fut, là aussi, condamné en son temps). Elle reçut ses "blessures d’Amour" de la main d’un ange. L’Église fête cette transverbération, le 21 août. D’autres, arrivèrent aussi aux frontières de la vie en atteignant ce paroxysme de l’amour. Les témoignages de sainte Thérèse de Lisieux et de Padre Pio sont à rapprocher de ce que voit Maria Valtorta et de ce qu'elle vivra lorsqu'elle recevra elle-même de Feu divin.
    Quelques jours après mon Offrande à l’Amour Miséricordieux, écrit sainte Thérèse de Lisieux, je commençais au chœur l’exercice de la Via Crucis (chemin de la Croix), quand je me sentis à un moment comme blessée par un dard de feu si ardent que je crus mourir. Il n’y a pas de comparaison possible pour faire comprendre de façon adéquate l’intensité de cette flamme. Il me semblait qu’une force invisible m’immergeait toute entière dans le feu… Et quel feu c’était ! Quelle douceur !…[3]
    Elle précise à la Mère Prieure : "Un instant, une seconde plus, et mon âme se serait séparée de mon corps…" Padre Pio décrit, presqu’avec les mêmes mots, cet instant de fusion :
    J’étais à l’église en train de faire mon action de grâces après la messe, quand je me sentis tout à coup le cœur transpercé par un javelot de feu si vif et si ardent que je crus en mourir.

    Les mots me manquent pour vous faire comprendre l’intensité de cette flamme : il m’est réellement impossible de le décrire. Me croirez-vous ? L’âme victime de ces consolations devient muette. J’avais l’impression qu’une force invisible me plongeait tout entier dans le feu… Mon Dieu, quel feu ! Quelle douceur !

    J’ai vécu bon nombre de ces élans passionnés d’amour, et je suis resté pendant un certain temps comme hors de ce monde. Les autres fois, ce feu a été moins intense, mais cette fois-ci, un instant, une seconde de plus, et mon âme se serait séparée de mon corps… elle serait partie avec Jésus[4].

    Les stigmates ne sont pas que les marques visibles de la Passion du Christ sur les mains, les pieds et le côté : ils peuvent prendre la forme de souffrances intérieures physiques et morales portées par le stigmatisé. Ces stigmates invisibles furent le lot de sœur Joséfa Menéndez, sœur Faustine, Luisa Piccarreta et de Maria Valtorta.

    Les stigmates invisibles de Maria Valtorta

    L’année 1934, elle a 37 ans, voit un tournant dans son offrande. Elle se sent submergée, dès le début de l’année, par une vague montante d’amour :
    "J’ai vécu une période si intense de transport d’amour qu’il me semblait que je vivais hors de moi-même, de mon pauvre petit être si déficient. Un séraphin avait pris possession de moi et me faisait brûler des flammes de son amour. Je me sentais suffoquer, tellement mon cœur se dilatait dans cette incandescence. Je chantais, avec des paroles que j’avais inventées sur des rythmes qui m’étaient venus spontanément à l’esprit, pour soulager le tourment qui me saisissait. J’avais mis aussi en musique le Chant à frère Soleil et de nombreuses poésies de la petite sainte Thérèse. Je répétais des chants sacrés. Car j’avais besoin de m’épancher pour ne point exploser...[5]"

    Ce transport d’amour atteint son summum le Vendredi-saint 1934. Elle est transpercée par l’Amour et reçoit "cette blessure interne que l’on ne voit pas mais qui est douloureuse comme une lance crochue, incandescente, qui arrache et brûle la chair vive". Trois jours après, au dimanche de Pâques, elle est clouée définitivement au lit où elle restera 27 ans durant.

    "L’amour grandissait en moi par la contemplation de mon Dieu mourant... Il grandissait tellement qu’il me procura un tourment physique qui eut son paroxysme le vendredi saint. Ah! J’ai bien cru que j’allais mourir d’un déchirement du thorax tellement fut intense l’amour en moi! J’ai senti que quelque chose se déchirait en moi, comme si une lance fouillait dans ma poitrine. Mais il y a vraiment quelque chose qui s’est déchirée, car même les sages esculapes (médecins) élucubrèrent à propos d’une lésion que l’on devinait dans le médiastin, ou bien entre le médiastin et le cœur, et dont ils ne savaient s’expliquer la présence.

    Je crois que c’est seulement la main qui m’avait procuré cette blessure qui soigna la plaie, en sorte qu’elle reste là sans que j’en meure. Je crois que cela s’est passé de la sorte car la douleur que j’éprouvais, supérieure à tout ce que peut supporter un être humain, je le ressens encore, surtout aux heures de plus intense union avec mon Seigneur. Je suppose que cela s’est passé de la sorte puisque aucun remède humain ne parvient à calmer cette douleur. C’est ce que je suppose encore, car cette douleur ne manque pas de survenir lorsque j’accède à une force tellement absolue dans la prière que j’obtiens du Ciel quelque grâce. Je le suppose encore parce que cette douleur disparaît tout d’un coup lorsque la grâce a été obtenue, quitte à revenir avec une force toujours plus grande, à des moments d’amour plus intense ou de prière plus intense… S’il s’agissait d’une douleur humaine, ce serait une chose qui rendrait fou !

    Quelques jours avant d’éprouver cet épanchement si suave et si cruel, j’avais composé une prière que je répétais après celle de saint François [...] : "O mon Père saint François, à cause de l’amour par lequel le Christ t’aima et par lequel tu l’aimas, donne-moi, je t’en prie, la souffrance et l’amour que tu imploras sur toi. Je ne te demande pas la gloire visible des stigmates, dont je ne suis pas digne, mais une participation intime aux peines et à l’amour de Jésus et de toi, en sorte que moi, comme vous, puisse mourir d’amour pour Dieu et pour les âmes."

    Le bon Dieu me donnait donc tout ce que je lui avais demandé: la blessure intérieure qui était faite de peine et d’amour, une blessure qui m’aurait conduite à la mort après une marée de souffrances traversée avec tant de bonne volonté pour le Seigneur et pour les âmes [...] Et à force de me donner toujours tout ce que je lui demandais, il m’accorda aussi la blessure interne que l’on ne voit pas mais qui est douloureuse comme une lance crochue, incandescente, qui arrache et brûle la chair vive [...] Si le vendredi saint 1930 j’eus droit à ma première heure d’agonie avec le Christ, en 1934, le jour du vendredi saint, je fus transpercée par l’amour pendant que je contemplais mon Jésus sur la croix.[6]
    Dès qu'elle pu se lever, ajoute-t-elle dans son Autobiographie, elle composa son Hymne à l'amour et à la souffrance qu'elle répétait souvent, surtout aux heures les plus douloureuses, ou pendant le carême[7].

    La stigmatisation de l'esprit

    Le 1er mai 1944, le moral de Maria Valtorta est au plus bas : elle a été évacuée loin de Viareggio et en souffre. Pire que tout, le Ciel se fait obstinément silencieux et ce silence dure, dure au point qu'elle se croit abandonnée. Elle a alors la vision de St François d'Assise, son "Père séraphique" porteur des stigmates douloureux (Maria Valtorta aura la vision complète de sa stigmatisation un peu plus tard, le 16 septembre 1944 comme indiqué plus haut). Il la console en l'invitant à supporter la "stigmatisation de l'esprit" :
    "Ma fille, efforce-toi d’y trouver paix et joie. À un moment où je souffrais énormément car j’étais, moi aussi, déçu par les hommes et, en quelque sorte, par l’approbation de mon œuvre par Dieu, j’ai dit: "Bienheureux ceux qui font la volonté de Dieu et font face à toute épreuve grâce à lui. "Essaie d’atteindre cette douloureuse béatitude. C’est la stigmatisation de l’esprit, et elle fait plus mal que celle tu la vois ? qui me perce la chair. Je le sais. Essaie tout de même. Pleure et essaie. Moi aussi, j’ai souffert atrocement, et pour bien des raisons. Comme toi, j’ai fait l’expérience de l’affection, et j’ai été plein de nostalgie. Moi aussi, j’ai senti revenir à moi la prière que j’avais offerte, à certains moments. J’ai passé des heures pendant lesquelles je ne savais que gémir. Je sais ce qu’est ta souffrance. Je te le dis néanmoins: efforce-toi de trouver en toute cette douleur paix et joie. Ensuite viennent la joie et la paix. Sois bonne. Je serai à tes côtés. Je te bénis de ma bénédiction: "Que le Seigneur te fasse miséricorde, qu’il te découvre sa face et t’apporte la paix. Qu’il te donne sa bénédiction[8]." (Nombres 6,24-26)"

    Une vocation des âmes d'exception

    Dans une dictée du 14 juin 1943[9], Jésus explique qu'au-delà de la sainteté "ordinaire", il y a un chemin qui conduit à la pleine connaissance de la doctrine du Christ. Ce chemin passe par la compréhension et le partage de sa Passion, sommet de l'amour et de la douleur. Cet appel résonne dans les âmes d'exception qui décident de suivre le Christ, à son imitation, jusqu'à la Croix. On les appelle les âmes victimes ou Hostie. C'est volontairement et par amour qu'elle formule leur acte d'offrande victimale autrement appelé holocauste. Ce mot trouve son origine dans les sacrifices du judaïsme au cours desquels les animaux étaient entièrement consumés par le feu dans le but d’expier les fautes d’un individu ou du peuple tout entier[10]. Par sa Passion, le Christ s’est offert lui-même en victime pour l’expiation définitive des péchés de toute l’humanité[11].

    "Aussi longtemps qu’une âme n’accepte pas d’être admise dans le "secret de la douleur" que moi, le Christ, ai goûtée jusqu’au fond, elle ne peut avoir la prétention de connaître ma doctrine à fond, ni d’avoir des lumières supérieures aux lueurs qui sont accordées à tout le monde. Des rayons d’une lumière spéciale se dégagent de mon front couronné d’épines, de mes mains transpercées, de mes pieds troués, de ma poitrine déchirée. Mais ils vont à ceux dont l’esprit se fixe sur mes plaies et sur ma douleur, et qui trouvent la douleur et les plaies plus belles que toute autre chose créée.

    La stigmatisation n’est pas toujours sanglante. Mais chaque âme qui m’aime au point de me suivre dans la torture et dans la mort, laquelle est vie, porte mes stigmates dans son cœur, dans son esprit. Mes rayons sont des armes qui blessent et des lumières qui éclairent. Ils sont une grâce qui entre et vivifie, ils sont une grâce qui instruit et élève.

    Par bienveillance, je donne à tous, mais je donne infiniment à ceux qui se donnent à moi totalement. Et tu peux croire que si, en vérité, les œuvres des justes sont inscrites dans le grand Livre qui sera ouvert au dernier jour, les œuvres de ceux qui m’aiment jusqu’à l’holocauste, les œuvres des victimes volontaires qui, à ma ressemblance, se donnent pour la rédemption de leurs frères et sœurs, ces œuvres-là sont inscrites dans mon Cœur et jamais, dans les siècles des siècles, elles ne seront effacées[9]".

    Notes et références

    1. Les Cahiers de 1944, 16 septembre, p. 554-559.
    2. Le mystère des stigmatisés, Jeanne Danemarie, Grasset, 1933, page 136.
    3. Histoire d’une âme, Chapitre 12.
    4. Lettre du 26 août 1912, au Père Agostino de San Marco in Lamis.
    5. Autobiographie, page 377.
    6. Autobiographie, p. 425-428. La prière à St François d'Assise est repris dans Les Cahiers de 1945 à 1950, 10 février 1946, p. 187.
    7. Autobiographie, p. 428.
    8. Les Cahiers de 1944, 1er mai, p. 275.
    9. 9,0 et 9,1 Les Cahiers de 1943, 14 juin, p. 74.
    10. Lévitique 4,3-35.
    11. Hébreux 10,8-10 et 1 Pierre 2,24.